Retour sur la conférence exceptionnelle d’Esther Duflo et de Natacha Valla

Le 17 juin 2024, La Banque Postale a organisé une conférence exceptionnelle intitulée « Pauvreté et fragilité financière : de la recherche économique aux solutions ». Cet événement s'inscrit dans le cadre d’un nouveau format des Dialogues de l'Économie Citoyenne, une série de discussions avec les parties-prenantes de La Banque Postale, qui vise à décrypter le rôle de la finance et de l’économie en faveur de la transition juste.

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Cette première conférence a réuni Esther Duflo, professeure au MIT et Prix Nobel d'Économie en 2019, et Natacha Valla, économiste, doyenne de l'École de management et de l'impact de Sciences Po et présidente du comité de mission de La Banque Postale. Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque Postale et Adrienne Horel-Pages, directrice de l’engagement citoyen de La Banque Postale étaient également présents pour discuter des défis et solutions liés à la pauvreté et à la fragilité financière.

La Banque Postale, acteur de la recherche sur la fragilité financière

En ouverture de conférence, Stéphane Dedeyan a rappelé l'engagement de La Banque Postale envers tous ses clients, y compris les plus fragiles et l’importance de cette mission de service public pour l’entreprise. « Nous avons toujours su innover pour accompagner ceux en situation de fragilité financière, » a-t-il affirmé, en prenant les exemples du dispositif l’Appui, qui depuis 10 ans, accompagne les clients les plus précarisés et du NPS clientèle fragile, indicateur permettant de mesurer le niveau de satisfaction de la clientèle la plus fragile. Il a souligné l'importance des données précises que possède la Banque et comment celles-ci ont été utilisées par l'INSEE pour ajuster les politiques publiques pendant la pandémie. Mais également sa volonté de s’inspirer des méthodologies de l’économiste, Esther Duflo. « Si sur la performance financière, les entreprises ont toujours développé de nombreuses méthodes pour améliorer leurs résultats, nous avons désormais besoin de progresser dans la rigueur et les méthodologies de l’impact extra-financier. Car en tant qu’entreprise à mission, notre objectif est d’être performant tant sur le plan financier qu’extra-financier ».

Photographe : Thierry Fanchon

Stéphane Dedeyan, Président du directoire de La Banque Postale, directeur général adjoint du groupe La Poste

Un point abondé par Natacha Valla qui a souligné l'importance du rôle des banques dans la lutte contre la pauvreté, rappelant qu’en France, aujourd’hui, 9,2 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, et que cette situation s'est aggravée avec la fin des politiques de soutien post-Covid. Elle a mis en lumière la nécessité pour les institutions financières de s'engager activement dans l'inclusion bancaire. « Les banques doivent non seulement fournir des services financiers de base, mais aussi éduquer et accompagner leurs clients pour les aider à éviter les pièges de l'endettement et à mieux gérer leur argent, » a-t-elle déclaré.

Une approche scientifique de la pauvreté par Esther Duflo

Invitée exceptionnelle de la conférence, Esther Duflo est revenue sa méthodologie des expériences randomisées contrôlées, empruntées aux sciences médicales, qui permettent d'évaluer rigoureusement l'impact des programmes sociaux et des politiques publiques. « Cette méthode permet de mesurer avec précision l'effet des interventions sur les populations vulnérables, » a-t-elle expliqué. Cette méthodologie est actuellement appliquée pour évaluer l’efficacité des initiatives de La Banque Postale, comme le score de détection de fragilité financière.

Les défis du microcrédit et de l’épargne

Pour illustrer son propos, Esther Duflo a présenté plusieurs études, notamment sur le microcrédit, considéré dans les années 2000 comme une solution miracle pour sortir les populations de la pauvreté. Elle a cité plusieurs études menées dans différents contextes géographiques, qui montrent des résultats mitigés. « Pour la personne moyenne, le microcrédit n’a pas d’effet significatif, ni positivement ni négativement. Il s'avère utile pour une minorité d'entrepreneurs, mais la majorité des emprunteurs l'utilisent pour financer des achats de consommation, » a-t-elle expliqué.

Concernant l'épargne, l’économiste a mentionné une expérience au Kenya où des comptes d'épargne ont été offerts à des femmes travaillant sur les marchés et à des hommes travaillant comme vélos-taxis. Les résultats ont montré que l'accès à l'épargne aidait ces individus à faire face à des chocs économiques, tels que des crises de santé. Cependant, les effets positifs n'étaient pas uniformes dans tous les contextes, ce qui suggère que d'autres facteurs, comme la discipline d'épargne personnelle, jouent un rôle crucial.

La révolution du digital et ses bénéfices pour l’inclusion financière

Photographe : Thierry Fanchon

Esther Duflo, économiste et lauréate du Prix Nobel d’économie en 2019 et Natacha Valla, économiste, doyenne de l’École du management et de l'impact à Sciences Po et présidente du comité de mission de La Banque Postale

Natacha Valla et Esther Duflo ont toutes les deux souligné l'importance de la digitalisation pour l'inclusion financière. Citant des études de l’OCDE, Natacha Valla a rappelé que « la capacité à maîtriser les outils digitaux est étroitement liée au bien-être économique ». Un point confirmé par l’exemple des porte-monnaies électroniques comme M-PESA au Kenya, cité par Esther Duflo. Ces porte-monnaies permettent des transferts d'argent rapides et sécurisés, réduisant ainsi l'impact des chocs économiques sur les ménages pauvres. « La digitalisation offre non seulement de nouvelles opportunités pour l'inclusion financière, mais elle fournit également des données précieuses pour mieux cibler les interventions » a-t-elle affirmé.

Promouvoir l’éducation financière : un enjeu clé

Esther Duflo a également insisté sur la nécessité de proposer une information claire et une éducation financière adéquate pour aider les individus à prendre des décisions éclairées. Elle a cité une étude menée aux États-Unis sur le payday lending (prêts sur salaire). Une meilleure information sur les coûts réels de ces prêts a conduit à une réduction significative de leur utilisation. « Informer les gens sur les risques et les alternatives disponibles peut les protéger contre des pratiques financières prédatrices,» a-t-elle conclu. Un point également abordé par Natacha Valla qui a insisté sur la nécessité d'améliorer l'éducation financière, y compris en France, pour protéger les consommateurs contre des pratiques abusives et les aider à mieux gérer leurs finances personnelles. « On sous-estime encore le bénéfice qu’il aurait à avoir une éducation financière pour tous ». Une thématique qui a particulièrement interpellé Adrienne Horel-Pagès : « Ça résonne beaucoup avec notre rôle de banquier au sein de La Banque Postale : la dimension de conseil, d’éducation financière est absolument clé étant donné notamment pour notre clientèle fragile ».

La conférence s'est terminée avec l’ambition commune que les méthodes rigoureuses de recherche et d'évaluation peuvent inspirer de nouvelles politiques et pratiques pour soutenir les plus vulnérables. « Nous devons continuer à innover et à tester de nouvelles approches pour avoir un impact réel sur la vie des gens, » a conclu Adrienne Horel-Pagès.

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